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A l'époque des jambes de bois ...
Depuis toujours, Jimmy a un rêve : devenir patron-pécheur, comme son père avant lui.
Mais une loi injuste et obsolète lui barre la route...
«Ces lois n'ont jamais été dépoussiérées»
Article paru dans le Nouveau Détective du 11 mai 2005
Jimmy ignore que son calvaire ne fait que commencer. Avant d'être en mesure de quitter l'hôpital, il subit encore quatorze opérations. Puis il supporte sans se plaindre les douloureuses séances de rééducation. Mais dès qu'il le peut, appuyé sur des béquilles, il va traîner sur le port. Là, il s'assoit sur le pont du bateau de son père pour aider les matelots à réparer le filet.
Un an plus tard, tous ceux qui le côtoient peuvent constater les progrès considérables accomplis par Jimmy. Grâce à une prothèse perfectionnée, il peut désormais se déplacer sans problème. II est même si solide sur ses jambes qu'il obtient l'autorisation de préparer le brevet de patron-pêcheur. Au cours du stage, c'est sans difficulté qu'il parvient à exécuter toutes les manoeuvres nécessaires au pilotage d'un bateau de pêche.
Quant à la partie théorique du brevet, c'est pour lui une formalité. Classé parmi les meilleurs lors de l'examen blanc, il a toutes les chances de décrocher ce fameux diplôme de patron-pêcheur. Comment pourrait-il se douter qu'un nouveau coup du sort l'attend ?
Le 12 janvier 2005, c'est la stupéfaction. Le bureau des Affaires maritimes le déclare inapte à la navigation. Selon quels critères? Jimmy et ses parents l'ignorent. Jimmy décide de faire appel de la décision, comme la loi l'y autorise.
31 mars. Le jeune matelot se rend à la convocation de la commission d'appel qui se réunit à Nantes. Ses parents ne sont pas admis à l'assister. C'est donc seul que Jimmy doit faire face aux cinq médecins. Moment impressionnant. Le médecin qui préside la session se montre particulièrement hostile, bombardant le jeune homme de questions. Puis le verdict tombe. Injuste et cruel.
La commission déclare Jimmy définitivement inapte â la profession de marin-pêcheur.
-- Vos lois datent de Colbert ! proteste avec véhémence Michel, son père. Elles n'ont jamais été dépoussiérées.
Les médecins refusent de venir sur leur décision. On a l'impression d'un décalage entre le discours des pouvoirs publics, qui vante l'insertion des handicapés dans le monde du t ravail, et la réalité, qui est celle de leur exclusion.
Soutenu par ses parents, Jimmy décide alors de forcer le passage. Le 14 avril, il se présente à l'examen. Mais l'accès de la salle lui est refusé... Au cours du stage, les autres candidats ont vu Jimmy manoeuvrer. Eux aussi savent qu'il est «bon pour le service». En signe de solidarité, ils décident de bloquer la session d'examen Jusqu'à ce que Jimmy lui-même, au bord des larmes, les exhorte à ne pas gâcher leurs chances et à passer le test.
A l'époque des jambe de bois ...
L'affaire fait grand bruit â Granville. Sur le port, les marins-pécheurs parlent de lancer une pétition. Après une inspection du bateau paternel, une ergothérapeute le déclare adapté au handicap de Jimmy.
Bref, tous les spécialistes s'accordent à dire que le jeune homme peut prendre la mer sans problème. Tous, sauf les cinq médecins de la commission arc-boutés à une loi vieille, pour l'essentiel, de quatre siècles. Une loi qui remonte à l'époque où les prothèses s'appelaient encore des jambes de bois ...
"Des risques pour sa sécurité et celle de l'équipage"
Il reste un dernier recours. Jimmy peut encore en appeler à la commission régionale d'aptitude. C'est ce qu'il fait au plus vite. Vaine démarche. Son président, le médecin chef Philippe Breuille, se fend d'un communiqué qui n'en constitue pas moins un refus : "La gravité de sa situation et sa détermination, à 18 ans, nous ont troublés, écrit-il. Et compte tenu de son excellente intégration dans le milieu maritime, nous nous sommes posé beaucoup de questions. Mais en le déclarant apte, nous aurions pris des risques pour sa sécurité et celle de son équipage. Enfin, si l'arrêté de 1986 autorise certaines dérogations, il est hélas très clair en qui concerne les amputations."
On interdit à Jimmy de passer l'examen de patron-pêcheur après l'avoir déclaré apte à suivre la formation, déplore Christian Gautier, président du comité local des pêches.
Pire, on interdit à Jimmy d'aller au bout de ses rêves.
A maintes reprises, nous avons tenté de joindre l'administration pour signaler le décalage entre la loi et la réalité. Aujourd'hui, les personnes amputées sont de plus en plus autonomes. Et pourtant, même s'ils ont désormais la capacité physique de l'exercer, le métier de patron-pêcheur leur est toujours interdit. Alors, plus que jamais, il nous semble nécessaire de dépoussiérer les textes dont une bonne partie date d'il y a quatre siècles.
Malheureusement, les différents services administratifs concernés se renvoient la balle. A la direction des affaires maritimes et des gens de mer, on nous dirige vers le ministère de l'Agriculture, puis au ministère des Transports. Enfin, une interlocutrice consent à prendre nos coordonnées. Elle nous assure qu'un conseiller maritime nous rappellera. Mais quand ?
Au Nouveau Détective, nous avons décidé de nous mobiliser pour que le cas de Jimmy soit réexaminé que la loi s'adapte aux évolutions modernes. Régulièrement, nous vous tiendrons informés des avancées de nos démarches. Et parce que le nombre fait la force, vous pouvez également nous adresser vos témoignages de soutien pour que nous les transmettions également à l'administration.
Une enquête de Hervé Hellec
« C'est de la graine de patron!» a dit un jour de lui le capitaine du Coelacanthe, le plus gros chalutier de Granville, â bord duquel Jimmy a effectué un stage. Cet avis, tous ceux qui ont navigué avec lui, le partagent Pourtant, malgré ses qualités, Jimmy ne sait pas s'il pourra reprendre la mer demain. Depuis des mois, en effet, une administration tatillonne menace de l'empêcher à jamais d'exercer son beau métier de marin. La raison ? Jimmy n'est pas un matelot comme les autres; un accident lui a pris la jambe gauche.
Les chirurgiens doivent l'amputer
Devenir marin, Jimmy en rêvait depuis sa petite enfance. Depuis l'âge de 4 ans, quand Michel, son père, qui travaillait alors a la conception du bateau, étalait les plans du Monaco du Nord II sur la table de la salle à manger. Dès 14 ans, Jimmy quitte le collège André Malraux pour intégrer l'école de pêche de Saint-Malo. L'année suivante, il embarque à bord d'un bateau-usine néerlandais où il est soumis a des conditions de travail très difficiles. II ne flanche pas. Et les longs séjours dans les cales à moins 26° ne le dégoûtent pas du métier. La preuve : à peine son CAP de matelot en poche, Jimmy embarque sur le Monaco du Nord II, le bateau qu'il a vu naître. Sa voie est toute tracée. II va préparer le brevet de patron-pêcheur. Et le jour où son père mettra sac à terre, c'est lui qui prendra le commandement de leur bateau. Mais le 17 janvier 2004, le rêve s'écroule... Ce soir-la, Jimmy quitte sur son cyclomoteur la maison familiale d'Yquelon dans la banlieue de Granville. Derrière lui, son ami Etienne a pris place sur le porte-bagages. Les deux jeunes gens n'iront pas bien loin. Alors qu'ils roulent sur la route de Villedieu-les-Poêles, un automobiliste qui roule dans le sens opposé fait une embardée. Il vient faucher le cyclomoteur. Le choc est si violent que Jimmy est projeté à plusieurs mètres. Quand les secours l'emmènent à l'hôpital, il est dans le coma. Les chirurgiens réussiront à le sauver, mais devront l'amputer de sa jambe gauche, juste au dessus du genou. Son ami Etienne s'en tire avec quelques fractures. Mais lui, Jimmy, que va-t-il devenir avec une jambe en moins? Pour le jeune homme, la réponse va de soi.
-- Dès que j'irai mieux, je reprendrai la mer, dit-il a Anne-Marie, sa mère.
Jimmy a perdu sa jambe gauche dans un accident de cyclomoteur. Mais il ne pensait pas que ce handicap l'empêcherait d'exercer le métier de ses rêves...
Passée la pointe du Roc, à la sortie du port de Granville (Manche), la coque bleu clair et blanche du Monaco du Nord II commence à danser sur les vagues. A la barre de ce bateau de pêche de 14métres, se tient Michel Hersent, 47ans. Marin-pécheur, fils et petit-fils de marins, c'est un spécialiste de la pêche a la coquille Saint-Jacques. La main sur le gouvernail, il ne quitte pas des yeux son fils Jimmy. 20ans, la silhouette déliée, le jeune homme s'active sur le pont du bateau avec les deux autres matelots du bord. Dans quelques minutes, le Monaco du Nord II atteindra la zone de pêche. II faut que tout soit prêt au moment du largage du chalut. Jimmy connaît par coeur chacun des gestes qu'il doit accomplir pour réaliser une manoeuvre impeccable. II ne commet pas d'erreur, ne se laisse jamais distraire de son ouvrage.
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